L’ultime bataille
Comment cette bataille évitable est-elle devenue inéluctable ?
Et comment Charles VII, surnommé " le petit roi de Bourges ", est-il devenu le " très glorieux roi de France " capable de bouter les Anglais hors de France comme le lui avait demandé Jeanne d'Arc avant de mourir sur le bûcher, le 29 mai 1431 ?
Parce que, autour de lui, des chefs de guerre talentueux, courageux et fidèles surent constituer, à partir des années 1445, une armée disciplinée, bien équipée et commandée, financée par le créancier et banquier du roi, Jacques Cœur. Les résultats furent à la hauteur de tant d'efforts : en 1450, la Normandie est reconquise. Dans l'été 1451, vient le tour de la Guyenne sous le commandement de Jean Dunois, compagnon de Jeanne d’Arc, dit le bâtard d’Orléans.
Bordeaux capitule le 23 juin et Bayonne, le 20 août. Charles VII était même décidé à installer un parlement à Bordeaux pour y rendre la justice en son nom dans toute la province. Encore fallait-il que ses nouveaux sujets s'accoutument à lui obéir alors que leurs privilèges politiques et commerciaux les incitaient à regretter les Anglais, plus fidèles et meilleurs clients des vins du Bordelais. D'un commun accord entre Bordeaux et Londres, leur retour se prépare à la fin de 1451. Au début de l'été 1452 est prévu l'envoi en Guyenne de 5000 hommes d'armes placés sous le commandement de John Talbot, le chef anglais le plus réputé. Leur débarquement se déroule le 17 octobre et, six jours plus tard, Bordeaux redevient anglaise. Pour résister à l'armée française aussitôt mise en alerte, arrive un renfort de soldats anglais placés sous les ordres de Lord Lisle, le fils du général Talbot. Soit un total de 7000 combattants, côté anglais un nombre équivalent côté français.
Leur confrontation se déroule à Castillon, le 17 Juillet 1453, sur les bords de la Dordogne, transformée en un immense tombeau de combattants sans sépulture. Talbot y trouve la mort ainsi que son fils. Quantité de soldats anglais tentent de fuir vers Saint-Émilion, poursuivis par la cavalerie bretonne de l’armée de Charles VII. D'autres se réfugient dans la ville de Castillon qui se rend dès le lendemain. Après tant de défaites françaises retentissantes comme Crécy (1346), Poitiers (1356) et Azincourt (1415), le roi de France prend sa revanche à Castillon. Il pouvait remercier les frères Bureau : Jean et Gaspard. Surtout le premier en sa qualité de grand maître de l’artillerie royale, dotée de canons de plus en plus nombreux. Vers 1460, ils sont moins de cinquante ; vers 1480, ils sont plus de deux cents. L'artillerie va bientôt dicter sa loi dans les guerres de la Renaissance.
La conquête de la Guyenne, précédée de celle de la Normandie et suivie de la possession de la Bretagne à l'issue du mariage en 1491 du roi Charles VIII avec la duchesse Anne de Bretagne, dessine une nouvelle carte du royaume de France, ouverte sur l'Atlantique au temps des grandes découvertes... La bataille de Castillon met fin aux trois siècles d'appartenance de l'Aquitaine à la couronne anglaise des rois-ducs. En 1453, la prise de Constantinople par les Turcs met un terme à la présence des Chrétiens en Orient tandis savants et artistes de l’Empire byzantin trouvent refuge en Italie. Au même moment, entre 1450 et 1455, l'invention de l'imprimerie par Gutenberg est à l'origine d'une révolution culturelle sans précédent avec la confection, la parution et la diffusion d’ouvrages qui se répandent dans toute l’Europe avec comme plus grand succès : la Bible. Autant de signes et de preuves que le Moyen Âge touche à sa fin après une durée d’un millénaire…
Pourquoi les Bordelais ont appelé les Anglais à leur secours en 1452…
Vaincus, leurs cadavres jetés dans le courant descendant de la rivière de Dordogne, les soldats de John Talbot, le valeureux commandant de l’armée anglaise, étaient-ils à contre-courant de l’Histoire ?
Tout concourt à le démontrer puisque les armées du roi de France, Charles VII, avaient dès 1451 remporté une victoire décisive contre le roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine. La totalité du territoire de l’Aquitaine était aux mains du roi de France, enfin récupérée depuis le remariage de la duchesse Aliénor avec Henri Plantagenêt en 1152. Trois siècles plus tard, les habitants de Bordeaux devaient se rendre à l’évidence : en passant sous domination française, ils risquaient à la fois de payer les impôts dont les sujets du roi de France étaient redevables et de perdre les privilèges commerciaux que les rois-ducs d’Angleterre leur avaient accordés pour conforter leur fidélité. Ces bienfaits faisaient d’eux les fournisseurs habituels de leurs vins « clarets » prisés des Anglais et notamment des Londoniens. Chaque année, quelque temps après les vendanges, des navires venus d’Outre-Manche et des barques bretonnes acheminaient les vins nouveaux, depuis Bordeaux et Libourne vers les ports du sud de l’Angleterre. Très vite, les négociants et les marchands de Bordeaux ont regretté d’être passés sous l’autorité du roi de France et ils se sont mobilisés pour obtenir le secours de leurs anciens maîtres, les rois d’Angleterre avec le soutien de la municipalité (la jurade) et de l’archevêque Pey Berland, envoyé en mission pour réclamer un secours militaire.